Le style est un peu ampoulé, les phrases sont longues et le vocabulaire, recherché. Les personnages sont quelque peu stéréotypés, mais l’histoire pourrait être celle de n’importe quelle famille, de n’importe quelle fille. Une gamine mal dans sa peau, mal vue au collège, pas populaire pour deux sous, seule avec les personnages de Harry Potter qui gravitent autour d’elle, dans son esprit et dans ses rêves. Facile à hameçonner donc. En mal de repères, d’amis, de références, alors pourquoi ne pas embrasser l’Islam radicale ? Pourquoi ne pas suivre Dounia et les autres, aussi déboussolées qu’elle, qui cherchent juste à « se faire mousser » comme elle finira par décrire ce qu’elle considèrera comme un petit délire adolescent, comme des « petits conciliabules féminins » sans envergure ?
Le final du roman apparaît vite comme évident, mais ce n’est pas vraiment ce qui compte le plus dans Sœur. L’important c’est birn davantage l’histoire d’une radicalisation, les pensées qui tourbillonnent dans la tête d’une fille alors que son entourage ne peut pas faire grand-chose, la solitude, le besoin d’amies, de cette sensation d’appartenance, de sororité, encore plus indispensable à quinze ans. Et puis se mêlent aux analepses / prolepses / au récit haché et sans grande cohérence temporelle, les hommes politiques et leurs visions d’au-dessus, de très loin, depuis leur bureau immaculé et leur parc arboré, leur intouchabilité de façade.
Certains tics agacent, les héroïnes exaspèrent, accablent le lecteur, mais le confrontent également à des problèmes actuels. Les filles sont toutes pareilles, toutes ont besoin d’être admirées, au moins un peu, d’être aimées, appréciées pour ce qu’elles sont, de se sentir valorisées, importantes – dans une moindre mesure, bien sûr. La vulnérabilité est un état commun, commun aux adolescents, commun aux plus fragiles psychologiquement, aux marginalisés, à ceux qui ont un jour été persécutés, humiliés – comme le Joker… Alors, la moindre étincelle peut transformer la bombe à retardement en brasier, parce que, arrivé à un certain stade, le moindre espoir ou la moindre contrariété peut tout faire exploser.
Les pages se tournent avec fébrilité, les mots s’enchaînent, les chapitres se dévorent. Le mélange de points de vue (Chaffia, Jenny et le président Saint Maxens sont au centre de la scène à tour de rôle) a tout son sens et n’est pas confondant, même si le livre est très décousu. Cette construction n’est pas gênante, et permet au contraire de mieux cerner les personnages, les tournants, d’être pris de court par les moments de basculement attendus plusieurs pages plus tôt.
Abel Quentin, avocat, a l’habitude de représenter des jeunes radicalisés et on sent sa profonde connaissance de leur détresse et leur état de pensées, revanchard, revêche et inatteignable – ce qui les rend si dangereux.
Ce roman faisait partie de la première sélection du Goncourt 2019.
Crédit : la jeune fille voilée de la photographie est tirée de Télérama (illustration d’un reportage sur les jeunes djihadistes français)
Ils en parlent aussi : Aurélie et écrit, L’engagée, L’œil d’Em, La bibliothèque de Juju, The unamed bookshelf, 68 premières fois
Tu fais un parallèle très intéressant entre cette solitude, cette absence de perspective et l’illusion d’appartenir à un grand tout, une communauté, « l’oumma ». Le sujet de ce livre est passionnant je trouve. J’adhère aussi quand tu parles du « joker » qui d’apprenti comique devient une grenade à dégoupiller. Il suffit de tellement peu pour basculer un jour dans la radicalité. Une belle analyse de ta part sur un sujet ô combien important. Merci Cécile 😊
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Je te le conseille, c’est un roman très fort et passionnant à bien des égards comme tu l’as si justement remarqué, nécessaire dans notre société contemporaine…
Merci à toi du compliment ! 😉
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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