Rire, une malédiction (Joker, Todd Philips)

Arthur Fleck vit avec sa mère, Penny, dans les quartiers lugubres de Gotham City, ville sinistre s’il en est. Il est clown à ses heures perdues, et surtout, il souffre d’une maladie mentale lui provoquant des fous rires qu’il ne peut contrôler – même aux moments les plus inopportuns.

Todd Phillips filme la descente aux enfers de cet anti-héros, de ce vilain. Persécuté, moqué, battu, tourné en dérision, blessé jour après jour, trompé, Arthur encaisse, toujours ce rire aux lèvres, ce rire infernal tantôt imposé par son cerveau malade, tantôt par son maquillage, à l’image de Gwynplaine, le célèbre Homme qui Rit ayant inspiré le mythe de Joker. Et puis il cède, la façade souriante se fissure, la folie qui apparaissait de temps à autre finit par prendre possession de lui, tout entier, puis possession de sa ville, à feu et à sang alors que s’achève ce drame bouleversant.

Le réalisateur avoue n’avoir pas respecté le scénario imaginé par les comics originaux même s’il s’est inspiré de The Killing Joke, comic book. Il assume ce Joker 2.0 et qui va faire grand bruit – le film a déjà raflé le Lion d’Or à Venise, ce qui est exceptionnel pour un film de l’univers Warner Bross – univers seulement sous-jacent puisque Joker en pose les bases, les remanie, pas d’inquiétude. Les afficionados reconnaîtront malgré tout Bruce Wayne (futur Batman) ainsi que quelques clins d’œil au reste de la saga. Malgré tout, malgré Gotham, le lien avec notre société et notre monde contemporain saute aux yeux : les laissés pour compte sont nombreux, bien plus que l’on ne croit et leur rébellion pourrait bien éclater un jour ou l’autre… il est également question de conformité, d’appartenance : soit nous en sommes, soit non, il n’y a pas d’entre deux possible, ou alors cet entre-deux est insupportable, froid, vide, sans personne à aimer ou pour aimer.

Joaquin Phoenix crève l’écran. Sa performance d’acteur est d’autant plus incroyable que ce film s’apparente presque à un one-man show, le laissant quasiment seul sur scène pendant un peu plus de deux heures. Les fantasmes d’Arthur, ses rêves et ses délires côtoient sa réalité, l’acteur parvenant à rendre toujours plus vrai ce qui se trame derrière la caméra. Touchant, puis méchant, effrayant puis à nouveau émouvant, il semble enfiler plusieurs masques, les alterne, les superpose parfois pour livrer une performance à couper le souffle. Robert De Niro apparaît également de temps à autre à l’écran, prêtant ses traits à Murray, présentateur de télévision qui aura un rôle déterminant dans la folie croissante du héros.

Joaquin Phoenix n’a perdu pas moins de vingt-cinq kilos pour incarner ce rôle, confiant que : « ça affecte ta psychologie. Tu commences à devenir fou quand tu perds autant de poids en si peu de temps ». Espérons qu’il ne tombe pas dans la démence : il semble tellement vivre son personnage que l’on pourrait le craindre. Le rire d’Arthur, rire maladif, dantesque a été difficile à trouver pour Joaquin Phoenix qui a avoué à Allociné avoir « regardé des vidéos de gens souffrant de rires pathologiques, un désordre neurologique qui provoque chez ces personnes un rire incontrôlable. » Le résultat est assez stupéfiant. Son maquillage larmoyant tient quant à lui de John Wayne Gacy, un tueur en série. D’ailleurs, puisqu’il est question de meurtre, le FBI a surveillé avec beaucoup d’inquiétude la sortie en salle de ce drame, craignant que le scénario de la tuerie d’Aurora (Colorado) ayant eu lieu lors de la diffusion de The Dark Knight Rises ne se reproduise – le Joker étant idolâtré par les membres des groupes d’Incels (pour involuntary celibate : les personnes se revendiquant comme tels ont des pensées caractérisées par un certain ressentiment, une misogynie intrinsèque et ils prônent la violence contre les femmes et les hommes ayant une vie amoureuse épanouie).

En plus du jeu de Phoenix, la manière de filmer est également à souligner. Les jeux d’ombre et de lumière dans les rues toutes plus sordides les unes que les autres, la caméra qui s’attarde sur les visages dans des gros-plans qui mettent en valeur la métamorphose de l’acteur, les plans qui utilisent le verre, la superposition des matières, les reflets sont autant d’effets qui ajoutent une grande plus-value au film.  

Ce Joker est donc impressionnant de maîtrise, tant du côté scénaristique, que du côté de la réalisation – et nul besoin de répéter que Joaquin Phoenix se surpasse.

La bande-annonce ici 🙂

Ils en parlent aussi : Le tour d’écran, Cinémathèque de Clélia, Read look hear, Nellverland, La culture dans tous ses états, Dark jeans Black shirt Dusky shoes, L’avis du Néophyte, Les chroniques de Cliffhanger & co, Ma toute petite culture, Cat’s eyes, Pause Earl Grey, Le tempo des livres, Culture aux trousses, Cinérama, Le cinéma avec un grand A, Étoiles et toile, Les dégustations littéraires, Cinéluctable, Boulevard du cinéma, C’est quoi ce bazar, Bookscritics, Take a break avec Sachi, Le 7ème café, Quelque part ailleurs, Cornelia, La pause cinéphile, Aphadolie, Eugénie et Marcellin, Cinéadroïde, Les chroniques de Jérémy Daflon, Royaume des histoires, Le Clown Brésilien, Nostroblog, Kulture mania, Image mouvement, Mlle Cupccake, Séries de films, Lecture et cocooning, Cinécure, Culture VS news, Spirale zone, Mygeekactu, Direct-actu, Jiphel, La chronique express, Hatari publishing, TLM, Ladiescolocblog, Les voyages de Ly, The cup of joys, Super Marie Blog, Newstrum, Vampilou fait son cinéma, L’arroseur arrose, Vingt quatre heures une, Les instants volés à la vie

Publicité

32 réflexions sur “Rire, une malédiction (Joker, Todd Philips)

  1. Ping : « Avada Kedavra » (Sœur, Abel Quentin) – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  2. Ping : La maison Golden, Salman Rushdie – Pamolico, critiques romans, cinéma, séries

  3. Ping : Banlieue à fleur de peau (Les misérables, Ladj Ly) – Pamolico : critiques, cinéma et littérature

  4. Ping : RDV Au Cine’ #10 – Joker – Take a break avec Sachi

  5. Ping : 2019 – Mon récapitulatif de la semaine 43 | ReadLookHear

  6. « leur rébellion pourrait bien éclater un jour ou l’autre » j’ai bien peur qu’elle se manifeste déjà, sous des formes plus ou moins proches de celles que l’on voit dans le film.
    Grand bravo pour cet article complet et éclairant sur ce film qui remue. Joaquin Phoenix n’en est pas à sa première incarnation de sensible dérangé mais il est vrai qu’il revêt dans ce rôle une dimension phénoménale.

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, tu as bien raison, il suffit de regarder les infos d’hier…
      Merci ! Oui, j’ai cru comprendre qu’il était habitué aux rôles de « sensibles dérangés » comme tu dis 😉 je ne crois pas l’avoir vu dans une autre de ces performances mais j’ai trouvé sa profondeur impressionnante.
      Bonne journée à toi !

      Aimé par 1 personne

  7. Anonyme

    Bonsoir Ceciloule,

    Une très bonne critique de Joker qui évoque la maestria du film et la puissance de Phoenix, surpassent enfin son frère ainé. (RIP River) Mais à ton avis, est-ce que cette oeuvre aussi incroyable soit-t’elle, méritait de recevoir un prix aussi prestigieux que le lion d’or ? Ou bien ce n’étais qu’un coup marketing afin de rendre les comics plus acceptable au yeux d’une certaine élite ? Je serais curieux d’avoir ta réponse sur le sujet.

    CinéMaster.

    Aimé par 1 personne

    1. Peut être un coup marketing… en tout cas, je trouve que le film le mérite, moi qui ne suis vraiment pas branchée films de super héros… Joker tient plus de la chronique sociale que de la dystopie et Joaquin Phoenix est juste phénoménal donc j’ai envie de te dire, pourquoi pas ? Et toi, qu’en penses tu ? 🙂
      Merci de ton passage !

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s