Suspense, perversité et mystère (Le maître des illusions, Donna Tartt)

Passé composé et imparfait pour raconter l’irracontable… Richard, le narrateur, est Californien mais rêve de disparaître de cet état, de quitter ses parents misérables et la station-service de son père. Il atterrit finalement à la faculté d’Hampden, dans le Vermont, où il choisit d’étudier le grec ancien. Ce n’est pas tant la matière, certes qu’il apprécie, mais le mystère qui plane autour du professeur (Julian) et de son groupe d’élèves qui l’attire irrépressiblement. Ils ne sont que cinq à graviter autour de cet étrange sage, à se contenter de ses cours pour leurs années d’université et bientôt Richard va rejoindre la bande. Henri, l’intellectuel, le leader taiseux, Francis le gai luron homosexuel, Camilla et Charles les jumeaux, Bunny le farfelu insupportable et donc Richard, tout juste arrivé et qui aura un peu de mal à s’intégrer. Malgré tout, une routine se crée rapidement, entre weekends à la campagne, beuveries (nombreuses), paresse et étude des Anciens.

Il s’agit de la première œuvre de la grande romancière américaine, Donna Tartt. Profond, construit intelligemment, ce livre nous emporte dans les États-Unis des années 1970, dans le froid et la neige du Vermont. La météo semble illustrer les relations humaines dépeintes ici, perverse, imprévisible, glaçante. Chacun, tour à tour, voit son égoïsme souligné, décortiqué. Le narrateur, Richard âgé, se remémore son passé, ces événements, et c’est donc le fil de sa pensée qui se débobine dans ces pages. Certaines de leurs péripéties, certains dialogues sont flous dans sa mémoire, d’autres semblent avoir eu lieu la veille. Toujours est-il qu’il nous emporte avec lui au cœur du mystère et du vice. Chacun agit selon son intérêt propre, les alliances au sein de cette bande se font et se défont au gré des envies et des circonstances. Ils sont tous prêts à s’en détacher, un peu, en apparence, devenant une sorte d’électron libre qui, sous couvert de sympathie n’hésitera pas à trahir, à décevoir, à bouleverser l’ordre établi, et même à tuer. La philosophie grecque est parfois utilisée comme prétexte, mais l’auteure ne s’en sert que comme d’une béquille, d’un moyen de donner chair à ses personnages, pas comme un leitmotiv redondant et peu clair, au contraire de Ryan Ruby (Le Zéro et le Un).

La fin est étrange, et certaines lignes restent obscures même après relecture. Cependant, il s’agit d’un roman extrêmement bien maîtrisé, profond et intelligent, vicieux. Le suspense est au rendez-vous et même si certains passages sont un peu longs, ce livre se savoure avec la même perversité que celle dont font preuve les personnages, que celle d’un voyeur abject.

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12 réflexions sur “Suspense, perversité et mystère (Le maître des illusions, Donna Tartt)

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