Une réécriture intéressante mais incohérente (Le nouveau, Tracy Chevalier)

Tracy Chevalier s’inspire ici de Othello, la tragédie de Shakespeare pour créer un décor et une histoire lui permettant de dénoncer le racisme et le harcèlement scolaire.

Bâti en cinq parties (comme les cinq actes de Shakespeare), scindant ainsi une journée d’école, l’auteure raconte l’histoire de Dee et O, ce dernier venant d’arriver à Washington, nouveau dans cette classe de CM2. Sa peau, sombre, ne sera pas sans choquer et gêner instituteurs et enfants. En effet, Tracy Chevalier choisit de situer son action dans les États-Unis des années 1970, ce qui explique ce racisme latent. L’école où se passe l’intrigue lui permet de reconstituer un huis-clos, de créer un véritable microcosme. Ce livre respecte donc le code des tragédies, la règle d’unité (un seul lieu, une seule journée), alors que Shakespeare faisait peu cas de ce genre de dogmes. Première maladresse donc. Le monde des enfants est régi par des règles qui lui sont propres, règles auxquelles chacun se plie plus ou moins de bon cœur mais sans vraiment avoir le choix. Il y a le tyran, son second et ses suiveurs, il y a la fille populaire mais aussi celle, confiante et extravertie, que les garçons convoitent. Bien sûr, d’autres enfants gravitent autour d’eux : le sportif apprécié, la peste, le premier de la classe… Cet univers se mêle à celui que crée Shakespeare dans sa pièce de 1604. Tracy Chevalier fait siens les personnages, Desdémone, Othello, Iago, Emilia et Cassio, transformant un peu les noms, et travestissant ces célèbres protagonistes sous les traits d’enfants de CM2.

D’ailleurs, pourquoi le CM2 ? Certes, ce n’aurait pas pu se passer au collège à cause de beaucoup d’éléments : la trousse à l’origine du drame, l’ambiance, l’instituteur qui aurait dû être divisé en plusieurs professeurs, la cour et les jeux d’enfants. Mais d’un autre côté, cette intrigue ne semble pas crédible en plein cœur de la primaire : les garçons et les filles commencent alors tout juste à se tourner autour, on ne parle pas « d’être allé jusqu’au bout » en CM2, plutôt à partir de la 5ème, et encore, pour les plus précoces… En cela, le livre perd de sa force et de son intérêt, et c’est dommage. Dommage parce que la réécriture est vraiment bien pensée et intelligente. La fin est quelque peu mélodramatique mais impossible d’en vouloir à l’auteure : transposer Shakespeare dans le monde d’aujourd’hui ne veut pas dire transformer une tragédie en comédie… Elle s’éloigne d’ailleurs de l’issue imaginée par le dramaturge pour rendre son histoire plus plausible au vu des événements passés et du théâtre qu’est la cour de récréation. Mais là encore, un tel drame, en CM2 ?

C’est malgré tout un bon roman, le rythme est plaisant, de même que l’alternance des points de vue au sein d’une même partie. Les aventures de la journée sont perçues alternativement par Dee, puis par Ian et enfin par O, parfois même par Mimi. C’est en cela que l’auteure se démarque, qu’elle transforme ce roman en une œuvre engagée contre le racisme et le harcèlement à l’école : le récit pourrait presque se passer aujourd’hui, rappelant au point de vue adulte les mésaventures de l’enfance.

Ce qu’en disent les éditions Phébus ici.

Ils en parlent aussi : Le bien-être au bout des doigts, Fflo la Dilettante, Mot envolé, Read Look Hear, Les chroniques de Koryfée, Les miscellanées d’Usva, Parfum livresquee, Lire et vous, C’est quoi ce bazar, Ma toute petite culture, Des livres une vie, Miss Bouquinaix, 31st floor

9 réflexions sur “Une réécriture intéressante mais incohérente (Le nouveau, Tracy Chevalier)

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