L’ombre et la lumière (Nevada, Laure de Clermont-Tonerre)

Un véritable coup de cœur que ce film : chaque plan surpasse le précédent en finesse et en beauté. L’histoire, racontée tout en finesse, suit les traces de Roman Coleman (Matthias Schoenaerts, habitué aux rôles de détenus sensibles mais potentiellement colériques), un prisonnier sombre et mystérieux qui ne semble s’éveiller qu’au contact des chevaux sauvages et auprès d’un en particulier. Rapidement, il intègre le « programme de réhabilitation des prisonniers par les mustangs » qui existe au Nevada, en Arizona ainsi qu’en Californie notamment, comme l’expliquent les quelques lignes qui précèdent le générique de fin. De sa famille et des raisons pour lesquelles il est derrière les barreaux, peu est révélé : des explications sont données par bribes, surtout lors d’une scène qui le confronte à sa fille.

Dès les premières images, la promesse d’un moment rare se profile. Un troupeau de mustangs apparaît à l’écran, filmé en pleine possession de sa liberté. Les ombres jouent sur les chevaux, la caméra s’attarde sur leurs yeux et leur crinière qui balaye leur regard fier. Puis, à l’image d’une foule humaine traquée, ils se mettent à galoper, effrayés par un hélicoptère qui les pousse vers le centre de détention où Roman est enfermé. Avant ces séquences, on nous explique que plus de 100 000 chevaux sauvages errent toujours dans les territoires de l’ouest des États-Unis, contraignant les autorités à réguler leur population comme ils peuvent, notamment en les faisant dresser par des prisonniers.

Chaque scène, chaque plan même, est une œuvre d’art à elle seule. La lumière est travaillée, les jeux sur le clair-obscur et sur les ombres ne font qu’ajouter à la poésie – ou à la violence – de certains moments. L’univers carcéral est montré sans faux semblants, sans vraiment de descriptions : le film n’est pas très bavard et c’est très bien comme ça.

Laure De Clermont-Tonnerre signe ici son premier long métrage. Elle filme la relation entre l’homme et le cheval qui se noue, qui se tisse et se renforce peu à peu. Trois bêtes à la robe similaire ont permis de composer celui qui sera nommé Marquis : si l’un était déjà dressé, le deuxième était « vert » soit jeune et peu expérimenté, tandis que le dernier était encore indompté. La réalisatrice montre la beauté, la fougue de ces animaux sauvages, à la fois enviés et admirés par les prisonniers avant qu’ils ne soient enfermés, domestiqués et dressés. Nevada a été tourné dans une des prisons où ce programme est appliqué, et dans le centre de détention voisin, désaffecté donc plus facile d’accès. Certains acteurs sont d’ailleurs d’anciens détenus qui ont pu se réinsérer grâce à ce processus de dressage, à ces responsabilités qui leur ont été confiées après des années à errer sans but dans les couloirs de la prison.

Découvrir que Robert Redford est le producteur exécutif n’est pas surprenant : le réalisateur de L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux a une tendresse toute particulière pour les mustangs et a tourné plusieurs fois dans des films carcéraux. Laure de Clermont-Tonnerre l’a ainsi rencontré au Sundance Institute, une organisation qu’il a créée et qui soutient le cinéma indépendant. Leur collaboration a rapidement été une évidence. Concernant Matthias Schoenaerts sa participation coulait de source tant pour lui que pour la réalisatrice, qui confie d’ailleurs : « Il fallait que mon acteur ait en lui cette masse physique imposante du personnage, tout en portant une émotion, une sensibilité toujours au bord des lèvres, au bord des yeux, à fleur de peau. » C’est sans doute pour toutes ces caractéristiques, cette capacité à jouer un homme dur empli d’émotions et de remords, que l’acteur (qui nous bouleverse aussi dans De rouille et d’os et dans Sons of Philadelphia) nous émeut autant.

La bande-annonce ici.

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