D’autres mondes (Zombi Child, Bertrand Bonello)

Zombi Child est étrange. D’une lenteur impressionnante, la réalisation commence par montrer Haïti et sa verdure en 1962. Après qu’un homme a découpé un poisson lune et réalisé une sorte de poudre – certainement un rite vaudou –, la caméra suit un Haïtien mutique et étrange qui semble revivre alors que son enterrement vient d’avoir lieu. Personne ne parle, aucune voix off n’en dit davantage, le spectateur est livré à lui-même. Puis basculement, et voilà Paris, aujourd’hui, dans un lycée prestigieux, la Maison d’Éducation de la Légion d’honneur créée par Napoléon en 1804. Haïti devint la première république indépendante noire à cette date, ce pourquoi Bertrand Bonello (L’Apollonide) a choisi cette institution, comme une sorte de pont entre deux mondes. Mélissa (Wislanda Louimat, qui a la double nationalité, comme son personnage), Haïtienne, s’intègre peu à peu à une bande de copines, introduite par Fanny (Louise Labèque). Les autres lycéennes sont sans nom, sans histoire, et ce qu’elles sont se résume peu ou prou à leurs commentaires acerbes ou décalés – qui ont le mérite d’être drôles – sur leur école et d’autres sujets tendances. Le réalisateur peut ainsi remercier sa fille qui l’a aiguillé pour que les dialogues entre jeunes sonnent le plus juste possible.

Zombi Child alternera entre des plans d’Haïti, de cet homme qui se retrouve dans des plantations de cannes à sucre, et Paris et ce lycée qui semble être une sorte d’ilot au sein de la capitale, un monde à part, comme l’est ce champ perdu dans la campagne haïtienne.

La bande-son permet, en plus du jeu de lumière (tous les plans à Haïti sont très sombres) de faire le distinguo entre la capitale française et l’île. En effet, la modernité est représentée par des morceaux contemporains, des chansons de Damso principalement – que Mélissa rechigne à chanter bien qu’elle les apprécie : on croit comprendre qu’elle pense ainsi salir sa culture. Au contraire, lorsque c’est Haïti qui est à l’écran, ce sont des musiques tribales, effrayantes, vaudoues qui donnent le la.

L’orthographe du titre est à souligner : « Zombie est l’orthographe américaine. Zombi, c’est le zombi originel, qui est une figure profondément inscrite dans l’histoire et la culture d’Haïti. Il est suspendu quelque part entre la vie et la mort » confie le réalisateur.

Les personnages ne sont pas attachants, peut-être seulement Fanny, dont la voix berce le spectateur de ses mots amoureux alors qu’elle lit régulièrement en off les lettres (mails ? textos ?) qu’elle (pense ?) envoie à son amoureux, Pablo. Mélissa a un lien avec le vaudou, cela devient vite évident, et cet homme Haïtien de 1962 se révèle finalement être son grand-père : elle l’explique à ses amies, presque à la fin du film. Heureusement que le synopsis nous avait déjà éclairés à ce sujet (même si certains détails paraissent étranges à la relecture de celui-ci, et ne collent pas avec l’histoire).

Beaucoup de choses auraient pu être transmises comme un flambeau, comme un enseignement beau et mystérieux, peut-être effrayant, le spectateur aurait pu être transporté dans deux mondes totalement différents du sien – mais il l’est à peine, ou alors trop, en tout cas il ne parvient pas à bien saisir ce qui se passe. Le réalisateur semble s’être totalement immergé dans cet univers qu’il est allé découvrir à Haïti (où tourner est risqué, mal vu) mais il l’a oublié, l’a laissé de côté. L’initiation est ratée, même si elle a au moins le mérite de donner quelques informations sur cette culture méconnue.

Après quelques recherches – indispensables après avoir vu le film, on apprend que ce fait divers de 1962 est réel (le générique le laissait supposer), qu’un homme a réellement été sorti de sa tombe pour aller travailler dans des plantations, devenant un « zombi », un homme à mi-chemin entre la vie et la mort.

La bande-annonce ici.

5 réflexions sur “D’autres mondes (Zombi Child, Bertrand Bonello)

  1. Ah c’est dommage que le film soit pas terrible, le sujet avait l’air intéressant. Le film m’intrigue quand même si j’ai l’occasion j’irai le voir par curiosité ou le téléchargerai. Je ne connais rien sur Haïti mais l’histoire de ce fait-divers glaçant a piqué ma curiosité.

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    1. Disons que le sujet aurait pu être exploité de manière plus accessible… c’est très bien joué cela dit et ça donne envie de se renseigner sur Haïti mais le film en lui même ne donne pas beaucoup d’éléments de réponse. Si tu le vois, je suis curieuse d’avoir ton avis 😉

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