Le père et le Père (Mon père, Grégoire Delacourt)

Grégoire Delacourt est l’un de mes auteurs favoris. Ce style indirect qu’il affectionne, cette légèreté couplée à une certaine crudité pour parler de sujets durs, cet amour terni, délavé, ces personnages qui ne sont pas embellis, que l’on pourrait croiser dans la rue. Voilà un certain nombre des raisons qui font que j’aime ses œuvres.

Ce roman est sans doute l’exception qui confirme la règle. Mon père évoque le sujet tabou de la pédophilie dans l’Église catholique. Le fils d’Édouard est donc abusé par un prêtre lors d’une colonie de vacances. Le père est aveugle, la mère aussi, la grand-mère encore plus. Les références religieuses jalonnent le livre, presque pour montrer que les héros de la Bible ne sont pas tous des saints, même si certains religieux les voient ainsi. Ce qui choque le plus Édouard et ce qui est récurrent ici, c’est le presque sacrifice d’Isaac par Abraham. Il souligne l’absence d’Isaac dans les écritures après ce quasi drame, son silence. Il en fait une victime et le transforme en allégorie des enfants d’aujourd’hui et des siècles passés qui ont été les victimes de l’Église. Ce livre, c’est la confrontation du père et du père, l’un coupable d’avoir été aveugle, l’autre d’avoir souillé le fils du premier.

Mon père est violent, cru, désagréable. Les termes choquent, rien ne nous est épargné, le sujet est balancé sur la table, violemment. Certes, il a le mérite de faire réfléchir et d’évoquer un thème d’actualité (qui devient peut-être même vendeur…). D’ailleurs, l’auteur n’a sans doute pas écrit ce roman pour conquérir le lecteur – le fait-il jamais ? – mais plutôt pour le confronter aux atrocités du monde, du monde qui nous entoure, qui est tout proche de nous. Pas besoin de parler de guerres ou de dictatures pour sous-tendre la misère, il suffit d’ouvrir les yeux, voilà ce que semble nous crier Delacourt.

La fin est forte et laisse pantois, la construction et cette alternance entre avant et après donne un peu – très peu – de légèreté à l’ensemble.

Alors oui, j’ai détesté ce livre, je l’ai détesté de me mettre face à cette vérité violente, de ne pas me laisser de choix. Je l’ai détesté aussi parce qu’il ne nous prépare pas à ce que nous allons lire : la quatrième de couverture en dit si peu. J’ai détesté le père d’Édouard d’être boucher et j’ai haï les descriptions de cette viande qu’il maltraite, ce parallèle entre les chairs animales et les chairs humaines, déshumanisées par des bouchers – au sens imagé du terme cette fois.

Je le recommande à ceux qui refusent de voir ce qui se passe autour d’eux. Je le déconseille à ceux qui sont au courant mais ne veulent pas être plongés dans le quotidien des victimes. Parce que c’est toujours les autres. Jamais nous. Et pourvu que ça dure.

8 réflexions sur “Le père et le Père (Mon père, Grégoire Delacourt)

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  3. Oula je ne lirai pas ce roman, le thème abordé me déprime et j’ai de plus en plus de mal à lire des passages crus. C’est étrange, je viens tout juste de terminer la lecture d’un roman où j’ai eu la même impression, le livre est indéniablement un grand livre mais je n’ai pas pu l’apprécier du fait des scènes de tortures liées pour ma part aux animaux. Je n’aime pas trop quand les auteurs décrivent cliniquement des scènes de tortures (sexuelles ou non), j’ai l’impression que cela verse alors dans un certain voyeurisme. Je passe donc mon tour pour ce livre même si ta critique était très intéressante.

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  4. C’est vraiment « marrant » (si je peux me permettre d’employer ce mot pour un thème pareil) mais tout ce que tu dis sur ce livre pour expliquer à quel point il t’a déplu constitue exactement ce pourquoi je l’ai apprécié. Là où j’ai parfois trouvé Grégoire Delacourt un peu léger dans ses précédents romans, je l’ai trouvé à la fois précis et puissant dans celui-ci, comme un chirurgien qui vient à la fois révéler et enlever une tumeur. C’est en tout cas un roman qui ne laisse pas indifférent, signe qu’il s’agit sans doute d’un grand livre 🙂

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