Une ode à l’amour (Appelle-moi par ton nom, André Aciman / Call me by your name, Luca Guadagnino)

Très bien écrit dans un style qui surprend malgré tout, Appelle-moi par ton nom nous emporte dans les pensées alambiquées d’Elio, jeune italo-américain, fils d’un professeur émérite et passant ses étés dans la maison familiale de B. en Italie, prise entre le verger fabuleux et la mer. La demeure est celle de tout artiste, scientifique, historien, énergumène, voisin qui se retrouvent régulièrement sur le terrain de tennis ou au cours des repas. Tous les ans, son père reçoit un invité américain qui l’aide dans ses travaux en échange du gîte et du couvert.

Cette année-là, c’est Oliver. Oliver et ses maillots de bain, Oliver et son ironie, Oliver et ses “Later” incessants, Oliver tout simplement. Très vite, le lecteur réalise qu’Elio a des sentiments ambigus à son égard. Le vocabulaire est plutôt cru, et peu de choses nous sont épargnées – et ce, même si les scènes restent coupées au montage. En effet, l’auteur se contente généralement de donner à lire les souvenirs d’Elio, ses rêves, ou fantasmes. Le garçon est perdu entre femmes et hommes, vogue des unes aux autres, sans vraiment faire cas d’autre chose que de son mal-être et de son désir inassouvi. En cela, il ressemble au narrateur des Variations sentimentales, en plus égocentré et plus agaçant.

La plume est fluide, les phrases très longues et souvent imagées. De nombreuses anaphores appuient les désirs d’Elio, et ses incertitudes se traduisent par une abondance de subjonctif. Il rêve, beaucoup ; désire, encore plus ; et finit par vivre, mais toujours avec en toile de fond ses fantasmes qui forment comme un leitmotiv. Les premières parties de l’histoire sont ainsi très décousues, ne se suivent pas, sont parcourues d’ellipses et d’analepses. Elio raconte et dit lui-même qu’il a « du mal à reconstituer la suite des événements », que ce sont surtout des « scènes clés » dont il est question. Il raconte sa douleur et son amour, ses doutes teintés de certitude, son dégoût et sa lassitude vite remplacés par la passion, qui brûle tout dans ce roman.

Et si vous avez vu le merveilleux film qu’est Call me by your name… 

Elio est bien moins attachant chez André Aciman que dans l’adaptation de Luca Guadagnino. Plus égoïste, moins touchant peut-être, et plus sûr de lui dans son incertitude, un peu plus hautain aussi sans doute. Alors qu’on tombe immédiatement amoureux de Timothée Chalamet (et le coup de foudre se confirme dans My Beautiful Boy), le Elio initial semble plus taciturne et possède moins ce côté artiste incompris, loufoque, drôle et ne demandant qu’à aimer et surtout à être aimé.

Le fait d’être plongé dans sa tête donne un côté beaucoup moins prude au roman. La tendresse, la délicatesse qu’on apprécie dans les cadrages précis de Guadagnino, toujours intimistes sans trop l’être, sont ici bien moins présentes : les mots sont plus crus, les scènes aussi.

La fin du film est peut-être trop rapide, achevant ainsi brutalement une œuvre qui s’étire tout en éclipsant pourtant certaines des scènes clefs du livre. Par exemple, cette orgie lors de la lecture romaine, qui apparaît au trois-quarts du livre, est passée sous silence. Au contraire, le roman laisse une place plus importante – sans doute trop – à la fin, et se penche sur l’après, allant même jusqu’à laisser un aperçu de l’anniversaire des vingt ans de leur rencontre, ce qui prépare le terrain pour l’adaptation prochaine de Trouve-moi, suite du roman.  Ainsi, le réalisateur insiste davantage sur l’ampleur que prend cet intermède estival, sur le point de bascule qu’il constitue, bouleversant malgré tout la vie de nos deux héros – tout en n’étant que bref et éphémère, comme le rappellent les pensées vagabondes d’Elio.

Enfin, l’adaptation est parvenue à donner un souffle nouveau au roman, à le transformer et à l’alléger, en partie grâce à cette bande-son fabuleuse qui égaye chacun des moments, soulignant leur intensité.

Le film est donc plus séduisant que le roman, mais découvrir les personnages sous un autre angle a un charme certain, les deux œuvres composant comme un diptyque, différentes mais complémentaires.

13 réflexions sur “Une ode à l’amour (Appelle-moi par ton nom, André Aciman / Call me by your name, Luca Guadagnino)

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    1. Le film est mille fois mieux que le livre ! C’est rare d’ailleurs qu’une adaptation soit aussi réussie je trouve…
      Les variations sentimentales d’André Aciman est mieux qu’Appelle moi par ton nom, encore mieux écrit bien que plus décousu

      Aimé par 1 personne

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  9. Ping : Les démons d’une gueule d’ange (My Beautiful Boy, Felix Van Groeningen) – Pamolico : critiques, cinéma et littérature

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