Une page, puis deux, puis trois. A chaque ligne, on se dit que le livre va décoller, que l’histoire va prendre son sens. Elle ne le prendra pas. Peut-être est-ce la volonté de l’auteur que d’être fidèle jusqu’au bout au titre choisi, et peut-être veut-il donner à son écrit l’inconsistance des rêves et ce goût d’inachevé. Toujours est-il que les événements semblent décousus, certains se détachent alors que d’autres restent dans l’ombre et les personnages demeurent semblables à des gens croisés dans un demi-sommeil, entourés d’une brume un peu sauvage qui permet de justifier leur folie respective et leurs actions plus incompréhensibles les unes que les autres. Le style est brusque, vif et sanglant, presque glauque. La mort et son aura flottent au-dessus des phrases sans paraître gêner Frédéric Verger qui joue même avec leur présence en laissant planer une atmosphère pesante au-dessus de ses mots crus. Voulait-il faire de ce récit une mise en abyme et le transformer en rêve de l’une des sœurs qu’il évoque ? Peut-être que les expériences étranges du soldat se prenant pour un autre, de la vieille aveugle russe et de ses nièces, fantômes se nourrissant des réminiscences de leurs charmes passés, ne sont qu’un enchevêtrement de rêves. Quand on émerge de certains songes, notre seul regret est qu’il se soit achevé, ce n’est pas le cas ici et l’on reste perplexe quant aux motivations du jury du Goncourt pour lui avoir consacré une place dans la première sélection. Heureusement pour les amoureux de la poésie, de la ponctuation – qui reste trop absente de ce roman, choix ou négligence ? – l’on sait d’ores et déjà qu’il ne recevra pas le Graal de cette année, étant absent de la seconde sélection de l’Académie.